Covid-19 et transport public quel impact à long terme ?
Article publié initialement sur une autre plateforme en septembre 2020
Grand Station
Le Covid-19 a chamboulé toutes nos vies et tous les secteurs, le transport public ne fait pas exception à cet état de fait. La baisse de fréquentation est drastique pour les différents opérateurs. Fin juillet 2020, STIB et SNCB ne transportaient que 50% de la clientèle habituelle alors que le TEC était à 30% de sa fréquentation normale.
Si l’impact immédiat est évident, on peut se demander ce qu’il en sera sur le long terme. Dans cet article, je propose quelques réflexions personnelles par rapport à cette problématique.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, observons que s’il est important d’anticiper le long terme, le faire au milieu de la tempête n’est pas forcément la chose la plus aisée. Nous espérons tous avoir passé le plus fort des intempéries, mais il est clair que nous ne sommes pas encore arrivés au bout des turbulences. On se gardera donc de tirer trop vite des conclusions définitives ou de prendre trop précipitamment des décisions radicales.
Cette prudence est d’autant plus justifiée que l’on est en grande partie aveugle sur ce qui va venir. D’une part, nous ne savons pas encore exactement comment va évoluer la situation sanitaire. D’autre part, les modèles de projections regardent tous le passé pour essayer de déterminer le futur. Ce n’est pas certain, mais l’impression est forte que demain ne sera pas exactement comme hier. Dès lors, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir nous fier à nos modèles actuels tout en n’en ayant pas d’autres de disponibles. Aujourd’hui, les projections reflètent sans doute plus les croyances et convictions du modélisateur qu’une quelconque connaissance solide de la réalité.
Les menaces
Commençons par lister les menaces auxquelles l’on peut penser quand on réfléchit aux conséquences possibles du Covid-19 pour le transport public.
Cette section se contente de les lister et des les expliquer. La section suivante s’interrogera sur leur caractère avéré et sur les opportunités qui peuvent éventuellement se cacher derrière ces menaces.
L’essor du télétravail
La crise actuelle est clairement un accélérateur pour l’adoption du télétravail dans nos entreprises et administrations et ce même si l’on doit s’attendre à une diminution du télétravail une fois que la situation sanitaire le permettra.
Les déplacements domicile-travail représente près de 20% de tous les déplacements en Belgique. Par ailleurs, la part modale des transports en commun pour le motif de déplacement domicile-travail est supérieur à la moyenne. Les transports publics sont donc en première ligne pour ressentir une diminution des déplacements suite à l’essor du télétravail.
La peur de prendre les transports en commun
Bien que le mode de transmission du Covid-19 ne soit pas parfaitement connu, il est admis que se trouver nombreux dans un lieu fermé favorise la transmission du virus. Raison pour laquelle le gouvernement a invité au départ de crise la population à éviter dans la mesure du possible les transports publics et que les transports en commun ont été un des premiers lieux dans lequel le port du masque a été instauré.
Un risque existe qu’une peur des transports en commun persiste sur le long terme. Cela entraînerait naturellement une baisse de fréquentation des transports publics. On voit bien à travers leur campagne commune que c’est en partie l’analyse des sociétés de transport public en Belgique.
L’anti-shift modal
Durant cette période de crise, nous avons vu que la fréquentation des transports publics a été déconseillée. Par ailleurs, la congestion routière a fortement diminué suite notamment au recours intensif au télétravail.
Ces deux éléments ont augmenté l’attractivité relative de la voiture par rapport aux transports en commun. Un shift modal des transports publics vers la voiture s’est par conséquent produit.
Les comportements de déplacements et notamment le choix du mode de transport sont fortement déterminés par les habitudes. La crainte est dès lors que ce shift modal vers la voiture persiste même après la disparition des forces qui l’ont provoqué.
La croissance économique en berne
La crise sanitaire s’accompagne d’une crise économique. La forme que cette crise prendra n’est pas encore très précise mais il est à craindre qu’elle laisse des traces longtemps après 2020.
On observe une corrélation entre la croissance économique et les déplacements notamment dans les transports publics. La croissance économique en berne peut dès lors avoir un impact négatif sur le nombre de déplacements en transport en commun.
Des possibilités d’optimisme ?
Reprenons les menaces évoquées ci-dessus et posons-nous la question de savoir si tout est si noir. Les menaces ne sont-elles pas surévaluées? Ne peut-on pas déceler des opportunités dans la situation?
L’anti-shift modal
Concernant l’anti-shift modal, il n’y a pas grand-chose à dire. La seule inconnue est de savoir l’ampleur de cet effet dans le temps. Négligeable ou non ?
La peur de prendre les transports en commun
Lors de chaque vague d’attentats touchant les transports publics, revient le débat de savoir si cela ne va pas en éloigner les voyageurs. Pourtant, si l’on prend l’exemple des attentats de Bruxelles, on n’observe pas d’effet permanent après 2016. Même 2016 n’est pas forcément une mauvaise année pour les transports en commun. Je n’ai pas de connaissance de cas où ce genre d’événements ait eu un impact négatif dans le long terme sur le nombre d’usagers des transports publics.
Comparaison n’est pas raison mais y a-t-il vraiment des raisons de penser que cela sera différent avec le Covid-19 ?
Un élément qui pourrait laisser penser que cette comparaison est inadéquate serait que dans les événements type attentats ou accidents, l’événement est plutôt soudain, ponctuel alors que nous sommes ici face à un événement relativement long.
Beaucoup dépendra sans doute de comment évoluera la perception de la menace. Au minimum à court terme, l’évolution de la connaissance du Covid-19 sera cruciale. La confirmation ou non de l’efficacité des gestes barrières ou du port du masque, la découverte ou non de médicaments ou vaccins auront évidemment une grande importance dans la perception du risque.
L’essor du télétravail
Le développement du télétravail n’est pas nouveau. La plupart des projections de déplacement tenaient compte bien avant le Covid-19 du développement attendu du télétravail. Il n’y a pas forcément de raison de penser que la crise actuelle transforme l’usage qu’il sera fait du télétravail sur le long terme. En d’autres mots, la crise actuelle accélère clairement l’adoption du télétravail mais n’a sans doute pas d’influence sérieuse sur le nombre de jours que les travailleurs presteront en télétravail à un horizon un peu plus lointain.
Par ailleurs, l’augmentation du télétravail devrait avoir comme conséquence de réduire le phénomène des pointes et cela, dans une optique d’exploitation, est plutôt une bonne nouvelle pour les transports publics. L’offre de transport est définie selon la période la plus chargée, ce qui explique que l’on a souvent beaucoup trop de moyen de production par rapport à la demande moyenne: (presque) assez pour les pointes et (beaucoup) trop pour les heures creuses. Toutes choses égales par ailleurs, la productivité d’un système de transport est meilleure quand les pointes sont moins marquées.
Finalement, le temps de transport gagné par le télétravailleur peut être consacré à autre chose. Cet autre chose peut très bien nécessiter des déplacements. L’effet net du télétravail sur la demande globale de transport est donc un peu amoindri. Effet similaire si pas identique, il est envisageable qu’une personne qui se déplace peu la semaine soit plus encline à voyager le week-end que quelqu’un qui passe déjà de longues heures tous les jours dans les transports. Exprimé sous un autre angle, l’usage du transport public pourrait être moins utilitaire et plus lié à des motifs de loisir; ce qui peut aussi contribuer à une image plus positive des transports en commun (le train qui vous emmène en vacance n’a pas le même attrait que le train quotidien vous menant au travail).
La croissance économique en berne
Aujourd’hui, il est sans doute difficile de voir des motifs d’espérer mais dans la mesure où il n’est pas évident que les fondamentaux de l’économie soient affectés, on ne peut pas exclure que le choc violent que nous connaissons reste un choc temporaire dont l’impact sur le long terme pourrait être faible.
Par ailleurs, suite à l’essor du télétravail, l’investissement massif dans les technologies digitales pourrait créer un choc positif de productivité. Par exemple, si je regarde l’enseignement, je pense qu’une grande partie de mes collègues ont découvert à l’occasion de cette crise une série d’outils qu’ils continueront à utiliser avec plaisir une fois que l’on sera revenu à la normale et qu’ils n’auraient pas découvert autrement.
On peut discuter longtemps des projections macroéconomiques, je retiendrai simplement l’idée que le pire n’est pas forcément sûr.
Au moins une partie des transports communs sont des biens inférieurs; c’est-à-dire des biens que l’on consomme d’autant plus que l’on a peu de moyens. En caricaturant : quand on a peu de moyens, on se déplace en transport public alors que quand on est riche, on s’achète une voiture.
Par conséquent, quand bien même nous ferions face à un PIB en berne, cela pourrait se traduire par une hausse de l’usage du transport public.
Des opportunités
De manière plus globale, il y a sans doute moyen de lire la crise du Covid-19 d’une manière qui permet de construire un storytelling soutenant les alternatives à la voiture dont les transports publics.
Les experts ont parfois raison
La crise du Covid-19 nous a pour beaucoup pris par surprise pourtant des experts ont tiré la sonnette d’alarme bien avant que la situation ne devienne critique. Certains les ont traités de Drama Queen mais force est de constater que ces experts avaient raison.
Il me semble qu’il y a là une raison supplémentaire d’accorder notre attention et une partie de notre confiance aux experts qui nous alertent sur des dangers nous menaçant. Des experts lanceurs d’alarme, il y en a beaucoup qui nous parlent de réchauffement climatique, n’est-ce pas ?
Anticiper permet de réduire la facture
Ce que nous a aussi rappelé la crise, c’est que l’anticipation permet de mieux faire face aux événements. Cette anticipation prend deux formes.
Premièrement, anticiper consiste à prendre aux sérieux les problèmes avant qu’ils ne se concrétisent. Il n’y a pas à attendre la crise pour prendre les mesures qui permettront de la surpasser. Il n’y a pas plus à attendre que la situation devienne catastrophique avant de prendre les mesures qui s’imposent. Dans de nombreux cas, prévenir est plus facile que guérir.
L’autre forme de l’anticipation est, une fois qu’on est au plus fort de la tempête, de garder une vision claire de la stratégie globale quand bien même on ne néglige aucunement de traiter les urgences du jour.
Les pays qui semblent s’en être le mieux sortis sont clairement ceux qui ont pris des décisions rapidement et qui avaient maintenu une stratégie à long terme cohérente dans leurs actions.
Le pouvoir d’agir du politique
La décision de fermer une bonne partie de notre économie et de confiner la population est un événement extrêmement disruptif à mes yeux.
Tout d’abord parce que cela rappel que c’est bien l’état qui détermine les règles du jeu de l’économie. Sans cadre législatif, il n’y a pas d’économie de marché. Cet élément, qui n’a pas été tellement assumé ni même reconnu par le monde politique ces (10, 20, 30, 40 ?) dernières années, donne un pouvoir d’agir et une responsabilité énorme au monde politique.
Disruption aussi parce que de manière très claire, le politique décide de mettre en danger l’activité économique au profit d’autres considérations; ici, la santé publique. Il est bon de se souvenir que le rôle de l’état n’est pas en premier lieu d’assurer l’activité économique mais effectivement le bien-être général. L’activité économique en est une part importante mais n’est par nature ni unique ni prédominante par rapport aux autres. La politique, les choix de société ne se résument pas à une seule dimension.
Tout ceci rouvre des possibles pour l’action du politique qui se redécouvre puissant et multi-dimensionnel.
La high-tech n’est pas toujours la solution
Enfermer sa population pour la protéger ne donne pas forcément l’image de la puissance du politique la plus évidente, ni la plus convaincante. Mais l’impuissance face à la situation que l’on peut deviner dans ces mesures est-elle propre au politique ou à notre société dans son ensemble ? Il me semble que c’est bien le signe d’une forme d’impuissance collective qui n’est pas limitée au politique.
On peut aussi le voir comme le signe que parfois des mesures low tech fonctionnent mieux que d’attendre un miracle technologique. On attend avec impatience un vaccin ou une médication efficace; on est déjà très heureux de tout ce que nous offre la médecine moderne; certains se sont fait mousser sur la question des big datas; on espère beaucoup d’une application de tracing mais jusqu’à présent ce sont surtout des mesures que l’on peut caractériser de lowtech qui se sont avérées les plus utiles en tout cas pour l’axe de la prévention: distanciation physique, port du masque, gel hydroalcoolique.
La haute technologie n’est donc pas toujours la solution la plus efficace et quand elle n’existe pas, il serait fou de l’attendre pour agir. Il ne s’agit pas de nier toute utilité à la haute technologie mais de rappeler qu’elle n’est pas la seule option possible ni toujours la plus efficace.
Un contexte favorable
Résumons les éléments que nous avons parcourus et commençons à les articuler avec à l’esprit le transport public.
- Les experts ont parfois raison même si ce qu’ils nous annoncent n’est pas forcément réjouissant. Cela renforce, si cela était encore nécessaire, l’importance de tenir compte de ce que nous disent les experts sur le réchauffement climatique.
- Anticiper permet de réduire la facture. Il n’y a donc pas à tergiverser avant de s’engager concrètement dans les actions nécessaires par rapport au réchauffement climatique.
- Le politique a le pouvoir de prendre des mesures fortes et il n’a aucune obligation de placer l’économie au-dessus de tout. Bien au contraire.
- Il n’est pas nécessaire et sans doute pas opportun d’attendre un miracle de l’évolution technologique. Réduire les émissions des gaz à effet de serre peut se faire avec la technologie actuelle. Concernant la mobilité, favoriser les modes actifs et les transports publics ne nécessite pas de saut technologique, juste un choix de société.
Nous avons assurément là des éléments pour construire un discours pro transport public. D’autant plus qu’un consensus se dégage au sein de la communauté des économistes pour dire qu’il n’est pas l’heure d’une politique d’austérité mais plutôt d’une politique keynésienne avec des investissements à maintenir voire développer dans les infrastructures. Assurément, les transports publics sont un secteur pertinent pour y réaliser de tels investissements dans une logique contra-cyclique.
Un cercle vicieux plein de dangers
Si l’on peut en partie relativiser les impacts du Covid sur le long terme et que l’on peut même voir des opportunités dans la situation, il ne faudrait néanmoins pas négliger des risques plus immédiats qui, selon la manière dont ils sont abordés, pourraient faire ressentir leurs effets sur le long terme.
Assurément, tous les transports en commun ont vu une chute importante de leur fréquentation. Aujourd’hui encore, en prenant les transports publics, l’on se rend aisément compte qu’on est encore assez loin d’un retour complet à la normale.
Même si nos entreprises de transport en commun sont largement subsidiées, il n’en demeure pas moins que la diminution des recettes commerciales les affectent toutes sérieusement. Sans un cap clair du monde politique, cela mènera sans aucun doute à une tension au sein des entreprises. En effet, même si elles étaient convaincues qu’il faut maintenir voire développer leur offre, cela n’est possible qu’avec un soutien clair du politique. En effet, les entreprises autonomes que sont les sociétés de transport pourraient être amenées à devoir faire des économies pour respecter un équilibre financier que l’on a généralement inclus dans l’ensemble de leurs objectifs .
On rentrerait alors facilement dans un cercle vicieux où la diminution du nombre de voyageurs entraînerait une baisse des moyens disponibles qui pousserait à réduire l’offre pour raison d’économie. La réduction de l’offre diminuerait l’attractivité du transport public aggravant de ce fait la diminution de la fréquentation des transport en commun.
Le cercle risque d’être d’autant plus vicieux que le secteur est caractérisé par des rendements d’échelle croissants. C’est à dire que plus vous produisez, moins cela coûte cher à l’unité produite. Ceci est lié à l’importance des coûts fixes inhérent au transport public. Par conséquent, en réduisant le niveau de la production, on réduit mécaniquement la productivité des entreprises. Il n’est pas insensé de penser qu’une société de transport public est d’autant plus légitime qu’elle est efficace, qu’elle démontre une productivité élevée.
En guise de conclusion
Assurément, les transports publics sont comme tant d’autres pris dans les turbulences nées de l’apparition du Covid-19. Il n’est pas question de nier qu’au minimum à court terme, cela crée des menaces non-négligeables.
À plus long terme, il y a également des sources d’inquiétude. D’un côté, il ne faut pas pour autant les surestimer. De l’autre côté, il y a aussi des opportunités à déceler dans la situation.
L’impact à long terme dépendra beaucoup des choix politiques que nous poserons concernant la mobilité. Il y a un contexte qui peut supporter le développement d’une politique pro-alternatives à la voiture. Mais cette politique pro-alternatives à la voiture n’est absolument pas inéluctable.
D’abord parce que nous restons souverains dans nos choix en tant que société démocratique. La prédominance de la voiture ne vient pas de nulle part et les éléments qui ont poussé nos sociétés à favoriser l’usage de la voiture n’ont pas tous disparu. Loin de là.
Mais surtout, ce mouvement n’est pas inéluctable parce qu’il ne se réalisera pas sans volonté. Le discours ne suffira pas. Il sera nécessaire, si c’est la voie souhaitée, d’agir en conséquence. En assumant aussi le revers de la médaille.
Une vision à long terme de la mobilité est plus que jamais souhaitable si l’on veut soutenir les transports publics.